Jack Smith et Tony Conrad, protestant devant le Museum of Modern Art de New York, février 1963. |
Un sommet désastreux est en cours dans la région de Charlevoix : le G7. Des millions (un petit demi-milliard?) en fonds public ont été investis pour la bonne tenue de ce haut moment de la gouvernance et du contrôle étatique. Enfin, une petite poignée de présidents et (une bien plus petite poignée) de présidentes sont attablé.e.s pour discuter notamment de l’égalité des sexes, de la diversité et de l’inclusion. À quelques jours de cet achat du pipeline Trans Mountain par Ottawa, les convives du G7 discutent notamment des changements climatiques. On leur souhaite de bonnes discussions, je suppose, dans leur tour recluse à l’abri de tous et toutes à la Malbaie, dans Charlevoix. Cela dit, non loin, le 36e Symposium international d’art contemporain de Baie-Saint-Paul prend son envol sur la thématique de L’art et le politique.
[…] [O]n s’accroche aussi et surtout à ce moment privilégié, disons-nous, de la haute affluence touristique que le sommet (voir Baie-Saint-Paul tout court) produit dans la région.
La thématique, brillamment amenée par la commissaire de l’événement, met la table :
Au G7, il aura été question, entre autres, de « faire avancer l’égalité des sexes, de lutter contre les changements climatiques et de promouvoir le respect de la diversité et de l’inclusion ». Qu’en retiendra-t-on vraiment quelques semaines plus tard ? Les Chefs d’État les plus puissants d’aujourd’hui sont-ils prêts à s’engager véritablement dans la résolution de ces enjeux majeurs ? (Lacerte, https://symposiumbsp.com)
Ainsi, on tente de contester l’impact et la portée de ce G7 sur un ton, bien évidemment, sceptique. Évidemment puisque l’inverse aurait été de mauvais ton, à tout le moins parmi la communauté artistique. Ce ton apparaît tel un quasi-dogme pour bien être perçu.e d’une certaine trame, d’une certaine étoffe, d’une certaine posture : la nécessaire et obligatoire critique politique en art. Bien que fondamentale, cette critique, la thématique du symposium n’y est pour pas grand-chose puisque, dans les mots mêmes de Lacerte citant Stiegler, « [l]’art est politique : l’esthétique est politique et le politique est esthétique » (https://symposiumbsp.com). On en comprend que tout et n’importe quoi peuvent se réclamer du grand perchoir politique, en autant que ce soit dit tout haut. On en comprend bien sûr aussi, à l’inverse, que sans cette thématique, l’art présent au symposium aurait été politique de toute façon. Mais écartons ce dernier point communément entendu puisqu’il ne touche pas le fond de la question : de quelle posture politique fait-on référence au symposium? On tente d’émettre une certaine critique du G7, mais on s’accroche aussi et surtout à ce moment privilégié, disons-nous, de la haute affluence touristique que le sommet (voir Baie-Saint-Paul tout court) produit dans la région et toute l’effervescence économique qu’il apporte.
[…] C’est parce que l’artiste qui critique ce système en est contraint à ce système, qu’il reproduit et opère dans ce système en plus d’être le produit de ce système dont il voudrait en faire une critique.
C’est là que le malaise prend forme. C’est parce que l’artiste qui critique ce système en est contraint à ce système, qu’il reproduit et opère dans ce système en plus d’être le produit de ce système dont il voudrait en faire une critique. Boucle bouclée, dira-t-on, et les événements canonisés seront légitimés sous le couvert de la bienfaisance et de la participation citoyenne, vêtues de leur apparat politique critique. On se sentira donc à l’aise de profiter de ce sommet pour faire du pouce sur les vagues et la gronde que le G7 produit pour, en somme, fomenter une thématique gagnante. Alors que tout le monde regarde ce qui se passe au Canada et, qui plus est, dans la région de Charlevoix, profitons-en pour projeter de la lumière sur le SIACBSP. Néolibéralisme oblige, on profitera bien sûr de ce moment pour engranger capital symbolique et tout autre capital en vue. Si la logique du marché s’étend partout, l’art, tout autant que l’art politique, n’en est pas à l’abri. Bien loin, bien bien loin de là, hors portée, le système de l’art présentera une certaine posture politique non-militante et inexorablement diluée dans le miasme d’être obligatoirement critique en art. Ainsi, cette thématique (régulée comme tout le reste par une présélection), seul lieu visible pour des artistes de se montrer critique, rappelle cruellement l’« espace de libre expression » (ironiquement nommé) réservé aux manifestants anti-G7 – simple moyen de contrôle pour contenir tous les débordements. L’International factice se pose alors aussi la question : « qu’en retiendra-t-on vraiment quelques semaines plus tard, de ce symposium? »
[…] [B]raver cette barricade imaginaire, érigée pour l’occasion du symposium, où il sera permis de tirer Molotov et brique uniquement si elles sont peintes ou déposées sur un socle.
Des artistes présentés (qu’on félicite d’ailleurs d’avoir passé le tamis de la radicalité) il est évident que la conviction en amont à tout ceci est motivée par des pensées critiques bien réelles. Mais le jugement de ceux-là n’intéresse aucunement. Nos potentiels camarades artistes devront braver cette barricade imaginaire, érigée pour l’occasion du symposium, où il sera permis de tirer Molotov et brique uniquement si elles sont peintes ou déposées sur un socle. S’ils ne sont pas bien sûr trop occupés à s’arracher le « prix du public ». C'est peut-être là le contrôle qu'effectue cette thématique : représenter ce genre de critique pour la cerner et la contrôler d’emblée. Ce qui sera présenté sera indubitablement politique, puisque subjectivé comme tel. On procédera donc de cette division politique inévitable, d’un côté la classe politique, et de l’autre, les sujets de cette politique. Ce qui est déplorable, c’est que l’événement apparaît telle une médiation de cette division; comme si ce sommet haut en couleur valait qu’on le peigne sur le motif. Cette médiation, c’est davantage un aveu d’impuissance qu’une réelle posture. Elle fait naître en nous cette question élémentaire à laquelle on doute fort qu’elle arrive à réponde : qu’est-ce qu’un acte politique? Dans ce carré de sable de l’agir politique en art – contrôlé, étiqueté comme tel –, il est invariablement et encore nécessaire pour le pouvoir en place que peu d’agir de telle sorte prenne forme.
[…] [N]ous aurions voulu voir faire grève ce symposium […]
Ainsi, dans un élan fantasmant une réelle portée critique de nos institutions artistiques, nous aurions voulu voir faire grève ce symposium pour l’occasion du G7. Une déclaration fédératrice, prenante et manifestement politique aurait ainsi pu prendre forme. C’est raté. À défaut, on en a fait un thème. Et comme tout festival se doit d’avoir son OFF, un Pas-symposium pas-international d’art pas-contemporain de pas-Baie-Saint-Paul ferait quand même une belle consolation.
Devant la reconduction ad vitam æternam, ad nauseam d’une unique façon de diffuser de l’art, et malgré la présence du G7, on ne terminera pas ce texte sur un « on se voit dans la rue », puisque cette rue positive à souhait sera bondée de touristes et de sympathisants de l’art comblés. Terminons donc sur : bon G7 et bon 36e symposium!
L’International factice